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La phrase qui tue

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Il y a près de 25 ans, pratiquement jour pour jour, je faisais la connaissance de la maladie mentale.

Pourtant, rien ne laissait présager qu’à l’époque, à l’orée de la vingtaine,  j’allais vivre la plus difficile épreuve de mon existence.

J’ai eu une jeunesse somme toute « normale », sans drame particulier. Je n’ai jamais été victime d’abus, d’harcèlement ou d’intimidation de quelque sorte que ce soit.

Anxieux, certes. Prompt à des variations d’humeurs occasionnelles, sans plus. Un garçon tout ce qu’il y a de plus ordinaire, quoi.

En vérité, la maladie mentale est apparue sournoisement dans ma vie.

D’ailleurs, le souvenir de notre première rencontre est encore frais en ma mémoire.

J’étais assoupi, sur le point de tomber dans un sommeil profond, lorsque mon cœur s’est soudainement mis à battre la chamade.

Je me rappelle m’être levé brusquement du lit, la respiration haletante. Je me souviens de mes mains engourdies, le poids d’une enclume sur ma poitrine et de cette inconfortable sensation de vertige.

À l’arrivée des ambulanciers, j’avais retrouvé quelque peu mes esprits. J’ai le vague souvenir de leur avoir demandé à ce moment si j’avais fait une crise cardiaque.

« Non mon gars! As-tu déjà fait des crises de panique? »

Comme si l’ambulancier me parlait dans une langue étrangère.

« Crise de quoi? » ai-je répondu. « Est-ce que l’on peut en mourir? »

Les mois qui suivirent furent atroces. Complètement désarticulé, j’arrivais à peine à vaquer à mes occupations quotidiennes.

Comme si chaque geste nécessitait un effort herculéen. Comme si la moindre petite décision se transformait en problème de trigonométrie.

Et cette constante impression de marcher sur des sables mouvants, de nager à contre-courant.

J’étais prisonnier d’un corps qui ne répondait tout simplement plus aux commandes. Comme si ma tête en avait eu « plein son casque »  et avait décidé de fermer boutique. « Désolé. Nous sommes fermés. »

Alors que mes amis profitaient au maximum des douceurs qu’offrent la jeunesse, de mon côté, je demeurais cloîtré dans mon petit appartement, apathique et esclave d’un flot incessant d’idées noires et de peurs irraisonnées.

J’étais prisonnier d’un corps qui ne répondait tout simplement plus aux commandes. Comme si ma tête en avait eu « plein son casque »  et avait décidé de fermer boutique. « Désolé. Nous sommes fermés. »

Et c’est à ce moment que la phrase qui tue fut prononcée.

Et pas par n’importe quel quidam, de surcroît.

Après une énième visite à l’urgence et une énième confirmation d’un médecin que je n’avais pas fait d’infarctus et que je ne souffrais d’aucun cancer, mon père, exaspéré et désespéré de voir son fils souffrir ainsi ,m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit :

« Ça suffit! Prend sur toi et donne-toi un coup de pied au cul »

Des mots lancés comme un coup de poing à l’estomac.

Ce n’était pourtant pas par manque de volonté, d’efforts ou par pure paresse, mais c’est si difficile, voire impossible, de se donner un coup de pied au cul quand la machine est brisée, quand le mental est animé par une seule et unique source : la peur.

Le noeud du problème, je le sais pertinemment aujourd’hui, n’était pas mon arrière-train, loin de là, mais plutôt ce qui se passait entre mes deux oreilles.

Je souffrais d’une maladie mentale et tous les coups de pieds au cul du monde n’auraient pu y changer quoi que ce soit.

J’avais besoin d’aide et de support tout simplement.

L’aide est finalement arrivée quelques mois plus tard sous la forme d’un médecin traitant qui a posé le diagnostic salvateur : dépression majeure avec trouble panique…. les petites pilules jaunes et bleues incluses.

Le noeud du problème, je le sais pertinemment aujourd’hui, n’était pas mon arrière-train, loin de là, mais plutôt ce qui se passait entre mes deux oreilles. Je souffrais d’une maladie mentale et tous les coups de pieds au cul du monde n’auraient pu y changer quoi que ce soit.

Le support de son côté, est venu d’une source tout à fait particulière et inattendue. De ma petite amie de l’époque, de ma mère, de mon frère, mais aussi, plus tard, de mon père.

Mon père est issu d’une génération d’hommes pour qui la maladie mentale est l’apanage des faibles.

Un homme ça ne pleure pas. Un homme ça ne demande pas de l’aide. Et un homme ça ne souffre certainement pas de maladie mentale.  Lève-toi, prends ton grabat et marche!

Cependant, les tabous et les préjugés envers la maladie mentale ne naissent pas tous égaux. Certains proviennent d’un manque de connaissance ou simplement de la peur de la différence. Parfois, d’un désir de se moquer, de juger. Dans certains cas, par contre, les préjugés peuvent tenir leur source d’un puits beaucoup plus profond.

Ce jour fatidique où mon père a prononcé cette phrase qui restera gravée à jamais en ma mémoire, je me rappelle très bien avoir vu dans le bleu de ses yeux, une profonde douleur, une tristesse incommensurable.

Celle d’un père impuissant devant le désespoir de son fils.

Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai saisi la réelle signification des mots lancés par mon père ce jour-là.

Il s’agissait, en vérité, d’un cri du cœur. Un immense gage d’amour envers son fils lancé avec les seuls mots connus de sa part et à sa disposition à l’époque.

Et c’est à ce moment également que j’ai compris que pour changer sa perception, sa vision des choses qu’il fallait que je brise le silence et que j’ouvre le dialogue avec mon père sur ma maladie mentale.

Depuis l’établissement de mon diagnostic, beaucoup  d’eau a coulé sous les ponts. J’ai cessé de compter le nombre d’épisode dépressif et de crise de panique vécus.

Bien que je me considère très privilégié d’être sous les soins d’un excellent médecin-psychiatre, je sais que la dépression et l’anxiété seront mon pain quotidien pour le reste de mes jours.

Ce qui me rassure cependant, c’est la conviction que je peux compter sur l’appui indéfectible de mes proches et de ma famille.

Et je sais également que s’il y a orage à l’horizon, mon père sera là pour me regarder droit dans les yeux et me dire : « Viens.  On va en jaser. »

Albert Einstein a dit : « Il est plus facile de désintégrer l’atome que de briser un préjugé ».

Mon père n’est certes pas un physicien, mais il est la preuve vivante qu’un préjugé peut être atomisé, réduit à néant.

ll suffit d’un peu d’ouverture, d’écoute et d’une forte dose d’amour.

Ça ne se fait pas en criant ciseaux, mais c’est toujours mieux qu’à grand coup de pied au cul !

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Ce texte a été originalement publié en janvier 2015. Il a été amendé en octobre 2018.

Ce texte a été également publié sur les sites Huffington Post Québec , Mordre dans le vie ainsi que Le Réseau-Aidant.

Il a aussi été publié dans le livre « Conte-moi tes peurs. Comment vivre avec l’anxiété au quotidien » de l’auteure Chantale Mercier. Un livre publié aux Éditions Béliveau et disponible en librairie.

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