Renaud, je peux te déranger quelques minutes ?
Non, non, t’inquiètes, rien de grave. Juste envie de te parler. De faire un brin de jasette avec toi.
Ça fait un bail qu’on n’a pas eu un bon « talk » père-fils toi et moi, non ?
Je sais, je sais, c’est un peu beaucoup de ma faute. Métro-boulot-dodo. Le train-train quotidien. La routine.
Ce n’est pas une excuse, j’en conviens, mais le temps passe si vite que j’ai peine à garder le rythme et j’en oublie parfois l’essentiel. En fait, j’ai l’impression que la vie se déroule en «fast-forward» et que j’en perds le contrôle, incapable de trouver le satané bouton «pause».
Mon grand, tu vieillis si rapidement, c’est incroyable. Ta grand-mère dirait pour rire : « c’est comme de la mauvaise herbe en été, ça pousse sans arrêt ! »
Pourtant, hier encore il me semble, j’allais te reconduire à la garderie en tenant ta petite main pour traverser la rue. Aujourd’hui, c’est un garçon de 14 ans qui, tous les matins, s’en va à la « polyvalente » tout seul comme un grand sans l’aide de papa ni maman.
Tu vieillis et tu t’éloignes aussi. C’est ce qui m’effraie le plus en fait. Ce sentiment de perte et de vide un peu plus chaque jour au détriment de tes amis, de tes loisirs, de toi. Ça peut sembler égoïste de ma part, je sais, mais c’est plus fort que moi. Même si tu deviens un être de plus en plus autonome et indépendant, sache que tu resteras à jamais mon « ti-cul ».
J’assiste depuis peu également aux changements qui s’opèrent en toi. Tes sautes d’humeur soudaines, tes crises de colère, ton besoin d’affirmation et de solitude. Tu t’isoles de plus en plus et un rien te tape sur les nerfs.
Bien que ce soit un brin déstabilisant pour ton papa, tu sais quoi ? Je comprends tout ça.
Tous ces chamboulements, cette indignation naissante, ces brusques sursauts d’hormones. Je suis passé par là. J’ai vécu tout ça.
Il est difficile peut-être pour toi de l’imaginer, mais ton père n’est pas né de la dernière pluie ou le jour de ta naissance! Je te vois sourire en ce moment à l’idée de me voir dans la peau d’un adolescent, mais crois-moi, à ton âge je vivais les mêmes choses que toi à quelques variables près.
À l’adolescence, j’étais rongé par l’anxiété, j’avais les dents croches et je portais la Coupe Longueuil (tu feras un Google là-dessus !). Disons que je n’étais pas le plus populaire auprès des filles de ma classe et j’avais un déficit important d’estime de soi.
Je me rappelle surtout de la rage qui m’habitait à cette époque. Cette colère qui me poursuivait constamment à chacun de mes pas. J’écoutais du Heavy Metal à tue-tête dans ma chambre au grand désespoir de ma mère et les gens changeaient de côté lorsqu’on me croisait sur la rue.
Je bouillais de rage. Contre mes parents qui s’étaient séparés au tout début de mon adolescence, mais surtout contre moi-même, convaincu que j’en étais la cause.
Je me souviens aussi que je n’avais personne à qui parler. Personne à qui confier mes états d’âme, mes tourments.
J’avais quelques amis bien sûr, mais parler de mes sentiments, de mes émotions était hors de question. J’avais bien trop peur du jugement et du regard d’autrui. En parler à mes parents? Jamais de la vie! Honteux de ma part de leur faire part de la source de ma colère et surtout incapable de leur causer des soucis et des tracas inutiles.
Alors, j’ai gardé à l’intérieur, pour moi seul, cette colère tout du long de mon adolescence.
Et j’en ai finalement payé le prix quelques années plus tard. La colère s’est alors transformée en désespoir, l’angoisse en dépression et la maladie mentale s’est incrustée dans ma vie pour y rester à jamais.
J’aurais tant aimé, à cette époque, avoir quelqu’un à qui me confier dans ces moments troubles. J’aurais tant souhaité avoir le courage d’en parler à quelqu’un de confiance. Peut-être ces confidences m’auraient-elles allégé du fardeau qui m’accablait dans ma jeunesse et ainsi évité bien des maux dans le futur? Peut-être, qui sait?
Il est difficile peut-être pour toi de l’imaginer, mais ton père n’est pas né de la dernière pluie ou le jour de ta naissance! Je te vois sourire en ce moment à l’idée de me voir dans la peau d’un adolescent, mais crois-moi, à ton âge je vivais les mêmes choses que toi à quelques variables près.
Alors c’est pour briser ce cycle du silence que je t’en parle aujourd’hui.
Je sais qu’il s’agit de conversations malaisantes, mais c’est en faisant éclater en mille morceaux l’inconfort qu’on réussit à changer les choses.
Trop de jeunes pleins de promesses et ayant la vie devant eux s’enlèvent la vie sans en avoir parlé ou même donné signe de détresse.
En tant que père d’un adolescent, c’est à donner froid dans le dos.
L’adolescence est certes une période fébrile de la vie. Pour l’un la plus belle et la plus excitante de l’existence, pour d’autres un dur moment à passer. Mais cette vie, la période de l’adolescence comprise, mérite tellement d’être vécue. Crois-moi sur parole. Si j’avais écouté mon désespoir dicter ma ligne de conduite dans les moments difficiles, je n’aurais jamais eu la chance et le privilège d’être l’heureux papa d’un garçon absolument fantastique, talentueux et intelligent.
Alors, sache que je serai là dans les bons comme dans les moins bons moments. Dans les hauts comme dans les bas. Dans les moments de grand désespoir comme de grandes exaltations.
Sache que je serai disponible à tous moments pour t’écouter, sans jugement. Pour t’entendre, si tu le désires, me raconter tes tourments dans tes périodes de doute et de désespoir. Pour te prêter mon épaule si tu ne désires que ma présence et le silence.
Saches aussi que je respecterai ton choix d’en parler à une personne de confiance et que je saluerai ton courage d’en parler à qui tu le jugeras approprié.
Mais surtout, ne répète pas l’erreur de ton père et de ton grand-père en gardant tes maux et tes mots pour toi seul.
Le silence est peut-être d’or, mais le jeu n’en vaut pas la chandelle !
Je t’aime.
Ce texte a été initialement publié sur le site Le Hufffington Post Québec dans le cadre de la série de blogues Tête À Têtes.