Imaginez le topo.
Chaque jour, un Québécois sur cinq est agressé par un ours.
Pire encore, trois Québécois meurent quotidiennement sous les griffes de ces bêtes terrifiantes et affamées.
Chaque jour, le même scénario. Inlassablement.
Évidemment, face à cette grave menace, la panique s’installe peu à peu dans la population et les citoyens sont aux abois.
Claude de Montréal clame haut et fort sur les tribunes radiophoniques : « Va falloir faire quelque chose, parce que ça n’a plus de bon sens ».
« J’ose même pas sortir de chez moi. », ajoute Mireille de Val d’Or.
Les gros titres des quotidiens sont éloquents et sans appels : « Le Québec sous attaque! » titre en Une, Le Journal de Québec.
La Presse+ de son côté se questionne et analyse la situation en profondeur dans un cahier spécial de plus de 20 pages : « L’ours. Menaçant ou menacé? ».
Le premier ministre du Québec, interpellé par les événements, lance en conférence de presse : « C’est une situation très inquiétante. Il faut assurer la protection des Québécois et des Québécoises. » et annonce du même coup la mise-sur-pied d’une commission d’enquête.
Sans attendre, le ministre de la sécurité publique débloque un budget de plusieurs dizaines de millions de dollars afin de pourvoir toute les familles québécoises d’une trousse de premiers soins et d’un piège à ours.
« Une réponse sérieuse, à un problème sérieux. » dixit le ministre.
De son côté, la ministre de la santé, lance un appel à tous les intervenants.
Scientifiques, zoologistes, agents de la protection de la faune, médecins et vétérinaires sont sommés par la ministre à une table de concertation afin de coordonner l’ensemble des activités sur le terrain.
« Il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique. », annonce la ministre.
« Il faut un plan d’action concerté et coordonné afin d’éradiquer ce fléau. La santé de centaine de milliers de Québécois et Québécoises est menacée. »
« C’est une situation très inquiétante. Il faut assurer la protection des Québécois et des Québécoises. »
À ce stade-ci de la lecture, vous êtes évidemment en mesure de saisir et comprendre que ce scénario est bel et bien fictif.
Le Québec n’est pas sous attaque d’une meute d’ours affamée et dangereux. Soyez sans craintes.
Or, si ce scénario digne des meilleurs romans dystopiques, devaient se matérialiser, que des attaques sauvages répétées d’une horde d’ours (ou de loups, ou de zombies, choisissez votre menace) fauchaient la vie de trois de nos concitoyens quotidiennement et qu’elles affectaient la santé de milliers d’autres, est-ce si absurde de prétendre que la réaction de la population, des médias et des politiques seraient aussi promptes et fortes?
Posez la question est y répondre.
Alors comment expliquer la quasi totale indifférence des gouvernements, des médias et, à certains égards, de la population en général face à un enjeu de société véritable et actuel qui affecte des milliers de Québécois : le suicide et la santé mentale.
Rappel des faits.
Selon l’Association Québécoise de Prévention du Suicide (AQPS), chaque jour, 3 Québécois s’enlèvent la vie. En 2015 seulement, 1128 personnes sont décédées par suicide.
De plus, selon le site du Gouvernement du Québec, près de 20% de la population du Québec, soit 1 personne sur 5, souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime d’ailleurs qu’en 2020, les maladies mentales seront la seconde cause de maladie et d’incapacité, après les maladies cardiovasculaires.
Face à ce constat alarmant, des questions méritent d’être posées.
À quand une véritable levée de boucliers collective et un appel massif à la mobilisation pour mettre en lumière cet enjeu majeur?
On parle ici d’une mobilisation générale et continue, bien au-delà de l’exercice annuel et ponctuel des » journées pour la cause ».
Certes, la santé mentale et la prévention du suicide sont abordées plus fréquemment sur les tribunes et dans les médias et des progrès ont été enregistrés en ce sens au cours des dernières années, mais il n’en demeure pas moins que ces sujets restent tabous et en marge des autres grands enjeux de notre société.
À titre d’exemple, pensons aux dernières élections québécoises. Avec l’environnement, la santé mentale et la prévention du suicide viennent en tête de liste des grands thèmes oubliés durant la campagne électorale.
Un exemple probant à l’effet que ces sujets, si importants soient-ils, ne sont pas des enjeux prioritaires aux yeux de nos politiciens. Ceux-ci préférant surfer sur des sujets à fort potentiel de gain en capital politique qu’en capital de sympathie.
D’ailleurs, où se trouve donc le sentiment d’urgence de la part de nos politiciens face à cette véritable crise?
À quand un engagement formel de la part du nouveau gouvernement de mettre sur pied un plan d’action concret, concerté et collectif en matière de sensibilisation et de prévention en santé mentale?
À quand un investissement massif de fonds publics afin d’offrir l’accès aux soins de psychothérapie à l’ensemble de la population québécoise par le biais du régime d’assurance-maladie universel?
Et pourquoi pas, à quand une commission d’enquête afin d’évaluer l’état de la psychiatrie comme le réclame le Dr Pomerleau, ancien président de l’Association des médecins psychiatres du Québec?
Verra-t-on enfin un gouvernement considérer cet enjeu sérieusement et faire de la santé mentale et la prévention du suicide une priorité gouvernementale?
Verra-t-on enfin une ministre de la santé se pencher sur la question dans l’optique de sauver des vies et non de sauver uniquement des sous?
Enfin, verra-t-on une réflexion critique et un effort concerté de la part des divers intervenants communautaires, des acteurs du milieu de la santé et du gouvernement afin de coordonner leurs efforts dans le but de mettre sur pied des outils et des programmes accessibles et adaptés aux personnes qui ont tant besoin d’aide?
Car, malgré l’augmentation importante des demandes d’accès en psychiatrie et en soins psychologiques, on constate malheureusement, et aussi aberrant que celui puisse paraître, un net recul sur le terrain.
Comme en font foi les récentes annonces de fermeture de lits en psychiatrie dans la région de Québec et les coupures de poste en sociothérapies à Montréal.
L’heure est grave et le temps presse.
Allons-nous enfin affronter ce problème de front ou laisserons-nous la situation actuelle se détériorer aux risques de mettre des vies supplémentaires en périls?
Certains diront qu’il ne faudrait surtout pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
Je répondrai qu’il faudrait bien commencer par s’y attaquer.
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Ce texte a été également publié sur le site Huffington Post Québec