J’avais 19 ans quand Kurt Cobain s’est enlevé la vie.
Je vouais, en 1994, un culte frisant l’obsession envers le chanteur de Nirvana. Sa voix, à la fois rocailleuse et mélodieuse, et ses riffs de guitare hargneux meublaient mon quotidien de jeune adulte en révolte.
Les paroles de ses chansons (que j’écoutais en boucle et qui, j’en étais convaincu, avait été écrites spécialement à mon intention) contribuaient à attiser la rage qui m’habitait et me consumait à cette époque.
À l’annonce de son décès en avril 1994, c’est le choc instantané.
« Non! Kurt Cobain, mon idole, mort? Impossible».
Incompréhension, déni, tristesse. Comme des millions d’admirateurs partout sur la planète, je passais par toute la gamme des émotions.
Je me souviens avoir ressenti une profonde colère envers mon idole. « Comment as-tu pu nous faire ça Kurt? Pourquoi avoir déserté ta légion de fans au sommet de ta carrière? Pourquoi avoir abandonné ta famille, tes amis? Pourquoi m’avoir laissé tomber, moi, ton fan fini? ».
Du haut de mon arrogance de jeune adulte prétentieux, mon opinion sur le suicide était, à cette époque, clairement défini. Il était inconcevable de se donner la mort alors que la fortune, la gloire et la richesse te sourit. Impensable de mettre fin à ses jours quand des millions de fans t’adulent, t’adorent et t’émulent.
En somme, ma conception du suicide en 1994 se résumait ainsi : un acte purement égoïste et empreint d’une grande lâcheté.
Une opinion malheureusement teintée de préjugés, engendrée par l’ignorance et embrasée par la colère.
Le tout allait changer moins d’un an plus tard alors que j’allais faire la connaissance avec la maladie mentale.
Le clown triste
J’avais 39 ans quand Robin Williams s’est enlevé la vie.
Son sourire contagieux, son sens inné de l’improvisation et son immense talent d’acteur (il pouvait camper des rôles tant comiques que dramatiques avec un génie et une aisance exceptionnelle) ont fait de lui une légende du cinéma et de la télévision. Il représentait pour moi un certain idéal masculin avec cette capacité de charmer les gens avec son humour flamboyant et de les émouvoir avec une authenticité et une sensibilité sans pareil.
À l’annonce de sa mort en août 2014, c’est la consternation.
Des centaines de questions fusaient alors dans ma tête : « Comment cet homme qui personnifiait tant la joie de vivre, peut-il mettre fin à ses jours de façon si tragique et violente? ». « Comment est-il possible de présenter au monde entier un visage si gai et drôle alors que son être tout entier est consumé par le désespoir et la douleur?»
Encore une fois, je passais par toute la gamme des émotions. À une exception près. Cette fois, la colère ne faisait plus partie du portrait.
Vingt longues années séparaient la mort de mes deux idoles et ma conception du suicide, autrefois bien arrêté, avait complètement changée. Mon opinion naïve de jeune adulte avait évolué pour faire dorénavant place à une certaine dose de lucidité et d’empathie.
Les maux qui tuent
J’ai vécu mon premier épisode dépressif à l’âge de 20 ans. Moins d’un an après la mort de Kurt Cobain.
Pendant plus de vingt ans, j’ai vécu les aléas d’un trouble de l’humeur et les attaques répétées de l’anxiété. À quelques occasions, exténué et rompu de vivre avec cette souffrance et cette douleur constante, j’ai songé à plonger dans le gouffre sans fonds.
Pourquoi voulais-je mettre fin à mes jours alors qu’à première vue, tout semblait me sourire? Pourquoi s’enlever la vie alors que les espoirs et les rêves sont à peine entamés?
Quand j’y pense aujourd’hui, je me pose la question : « Qu’est ce qui m’a retenu de poser cet acte irréversible? »
L’espoir? Peut-être. Le manque de volonté ou de courage? J’en doute.
En fait, il est réducteur à mon avis de considérer le suicide comme un acte courageux ou, à contrario, de lâcheté. C’est un jugement de valeur qui, trop souvent, est exprimé par ceux qui restent.
Au fond, la réponse est simple. Aussi absurde que cela puisse paraître, ma peur de mourir était inversement proportionnelle à l’idée de vivre avec cette souffrance qui m’accablait.
En vérité, mon souhait le plus cher n’était pas de mourir, mais simplement d’arrêter de souffrir.
Quand nos idoles s’envolent
Les décès tragiques par suicide me touchent toujours profondément.
Ceux de personnalités publiques, comme les départs de Chris Cornell, Chester Bennington et Anthony Bourdain, tout particulièrement. Par leur couverture médiatique imposante, ces tristes décès ravivent toujours en moi le souvenir de périodes sombres de ma vie et font ressurgir de vives émotions depuis longtemps enfouies.
À chaque fois, il est difficile de résister à l’envie de donner un sens à un acte si tragique.
Faut-il absolument y comprendre quelque chose? Y donner un sens quelconque?
Mon expérience personnelle m’a appris que la souffrance est exempte de raison. Qu’une bonne dose d’empathie est souvent la seule réponse à toutes les interrogations.
Le jour du décès de Robin Williams, après vingt ans de souffrance et de silence, vingt longues années à vivre dans la peur du rejet et du jugement d’autrui, j’ai pris la décision de parler ouvertement de mon vécu avec la maladie mentale.
Depuis ce jour fatidique d’août 2014, les barrières ont tombés et le fardeau qui pesait sur mes épaules s’est allégé. Parler de mon vécu et raconter mon histoire est dorénavant un acte quotidien. J’en ai d’ailleurs fait ma mission de vie.
À défaut d’y trouver un sens, c’est ma façon d’honorer la mémoire de mes idoles disparues.
Ce texte a été initialement publié en août 2017 et modifié en avril 2019. Il a été également publié sur le site Huffington Post Québec